Voilà un homme fier: il est chasseur. Doublement fier: avec leurs élus européens tout neufs, les chasseurs viennent de remporter une belle victoire. Lui, Paul-Henry Hansen-Catta, directeur du très chic et un peu iconoclaste magazine le Saint-Hubert (surtitré l'Art de vivre la chasse), avait soutenu ce combat en appelant à la lutte «contre la conception contemplative de la nature».

De quoi est-il le plus fier, cet homme de 43 ans qui a lâché l'école après avoir loupé son BEPC? De son aura de chasseur intellectuel (gibier rare) forgée à la tête de son journal? De ses ascendances familiales, qui lui permettent de glisser sans insister, en évoquant d'anodins souvenirs d'enfance, que son arrière-grand-père était l'académicien René Bazin et son grand-oncle le romancier Hervé Bazin? Ou bien de ses réalisations en tant que président de la fédération des chasseurs de l'Aisne: création d'emplois, «renaturalisation» d'espaces industriels, campagne contre les lâchages de gibier d'élevage", autant d'initiatives qui légitimeront, l'an prochain, sa probable candidature à la tête de la puissante Union nationale des fédérations départementales de chasse? Paul-Henry Hansen-Catta ne fait pas l'unanimité chez les chasseurs, mais Thierry Coste, lobbyste de l'Union, le crédite de qualités précieuses: «Il a compris ce que sera la chasse au XXIe siècle: justifiée scientifiquement, et inscrite dans un partage équitable de l'espace» entre chasseurs et écologistes. Fier, donc, Hansen-Catta, un tantinet vaniteux, même. Mais avec cette candeur émouvante de l'autodidacte qu'enthousiasment tous les savoirs, académiques ou non. Il faut admettre qu'aucun autre des innombrables journaux français consacrés à la chasse n'a jamais, à l'instar du Saint- Hub, osé convoquer des sociologues bourdieusiens, des historiens, des philosophes, et même un écologiste résolument adversaire des chasseurs pour réfléchir sur la place de la chasse dans la cité (1).

«Quand j'ai repris le titre en déshérence, il y a quatre ans, j'avais l'ambition d'en faire le National Geographic de la chasse.» Son Saint- Hubert est encore loin du modèle. Hansen-Catta a beau ne pas être pauvre ­ il possède une petite affaire d'édition et quelques biens personnels discrets ­, il lui faudrait davantage de lecteurs pour développer son titre. La majorité des porteurs de fusils préfère de loin acheter le Chasseur français. Peu importe l'incompréhension de ses pairs, Hansen-Catta a foi en eux. En chevalier d'un art en perdition, il s'est donné pour mission d'éclairer la société sur la légitimité de celui-ci. D'expliquer au monde que la chasse ne serait rien moins que la version intelligente de l'écologie.

Enfant, Paul-Henry vivait à Paris dans une famille moyenne bourgeoise catholique et fréquentait beaucoup la maison angevine des Bazin, emplie de livres jusqu'au grenier. C'est grâce aux livres que naquit sa vocation. Il découvrit les écrits de Louis Pergaud, connu pour la Guerre des boutons mais aussi pour ses histoires d'animaux, tel Goupil et Margot. «Sa conception laïque de la nature, c'est devenu mon truc», assène celui qui devint journaliste à Valeurs actuelles puis au Figaro Magazine, avant de se voir confier la direction du quotidien l'Union de Reims par Robert Hersant. Entre les trophées de chasse empaillés et les rateliers débordant d'armes fort belles, dans le décor raffiné de sa vaste demeure campagnarde rescapée des destructions du chemin des Dames pendant la Grande Guerre, Paul-Henry Hansen-Catta réfléchit aux fondements moraux de cette passion partagée par des hommes si différents les uns des autres.

«C'est étrange, la chasse. Ça peut élever l'âme, ou la ramener à un profil" euh" minimal.» Lucide, tout de même! Il se souvient encore avec dégoût de ce chasseur lui racontant sa «jouissance» d'avoir tiré sur une biche «comme s'il avait violé une fille, disait-il». Mais il n'est pas découragé un instant par ce que lui-même appelle, friand de formules sonnant littéraire, «les purulences de l'extrême chasse». Par exemple, les manifestations de sexisme graveleux à l'encontre de Dominique Voynet. Il les justifie même, ces purulences, par le fait que «pour résister à l'assaut des petits hommes verts, notre passion doit être une, indivisible, inexpugnable, indestructible, butée, bornée" et résistante». Bigre. Hansen-Catta, ayant compris que les chasseurs étaient devenus minoritaires, qu'ils devaient «se comporter en tant que tels pour se faire accepter», a choisi ses armes: scientifiques d'une part, culturelles de l'autre.

Dans les années 70, les organisations cynégétiques eurent un grand défi à relever: organiser le retour du grand gibier en France. A coups de plans de chasse, de dépôt de nourriture, de cogestion forestière, le pari réussit. «Maintenant, les chasseurs doivent s'intéresser à la linotte, aux batraciens, aux petits rongeurs. Ils doivent devenir des naturalistes.» Mais pourquoi, diable? «En réoccupant un espace rural déserté par les ouvriers agricoles et les gens de la campagne, en réintroduisant des hommes sur le terrain, en veillant à ce que la petite faune sauvage trouve gîte, couvert, et soit préservée d'une pression trop grande des prédateurs», les chasseurs contribuent à la conservation des espèces et à l'accroissement de la biodiversité. C'est dans cette «grande perspective savante» que Paul-Henry Hansen-Catta voit l'avenir de la chasse.

Il y a du boulot pour en arriver là. Car Hansen-Catta lui-même assure que, culturellement, il se sent «plus proche d'un agriculteur ultraproductiviste qui bourre son sol de produits chimiques et détruit tout ce qui vit, mais loue sa terre aux chasseurs, que d'un naturaliste qui gère bien son patrimoine et protège ses terres, mais en interdit l'accès aux chasseurs». Contradiction? Apparemment non: un chasseur, assure-t-il, préférera toujours un «acteur de la campagne» à un «contemplatif».

Il est vrai que Paul-Henry Hansen-Catta, du genre hyperactif, ne prend pas le temps de contempler grand-chose. Bénévole à outrance et à responsabilité ajoutée dans les instances locales et nationales de la chasse, patron de société commerciale, père de cinq enfants, propriétaire de chiens et de chevaux, quand trouve-t-il le loisir de chasser? A défaut de l'observer en cette circonstance, on le voit piler en voiture parce que l'oreille d'un chevreuil avait bougé quelque cent mètres en contrebas. Sans doute connaît-il bien les animaux et apprécie-t-il l'art de la traque. A vrai dire, l'âme et les coutumes des hommes se livrant à cette activité semblent être pour lui un champ d'étude et de réflexion infiniment plus passionnant. Mais que personne ne le traite de contemplatif, surtout! Ses réflexions sont au service d'une cause: «Défaire les Verts», comme il le martelait dans son journal juste avant les élections, et secouer «la masse des soumis» qui s'inclinent devant les diktats européens. Avec leur succès aux élections européennes, les loups viennent d'entrer dans la bergerie. Hansen-Catta, soutien solide mais toujours distancié, s'apprête à observer avec délectation le comportement de cette nouvelle meute dans un milieu encore inconnu. 

photo GABRIEL BECKER 

(1) Le Saint- Hubert, n° 16, janvier-février 1998.

(Lire aussi en page 14) 

Paul-HEnry Hansen-Catta en 8 dates 1956: Naissance à Paris.

1966: Tue son premier lapin.

1972: Abandonne l'école.

1974: Après l'armée, devient journaliste à Valeurs actuelles.

1985: Prend la direction du quotidien l'Union de Reims.

1993: Elu président de la fédération départementale des chasseurs de l'Aisne.

Mai 1995: Reprend le magazine le Saint- Hubert.

Mai 1999: Son journal s'engage aux côtés de CPNT (la liste des chasseurs) aux élections euro-péennes.

Hélène CRIE-WIESNER