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11/02/2015

Les Echos

Marine Le Pen, Parlement européen Strasbourg.

Le Parlement européen, laboratoire de la stratégie de conquête du FN

 Fini l’absentéisme permanent, les eurodéputés FN veulent donner l’apparence du sérieux pour crédibiliser leur mouvement, même si leur travail réel reste mince. La manne des institutions de l’UE permet également au parti d’extrême droite de se professionnaliser un peu plus.

Ils n’étaient pas forcément très nombreux, le 3 décembre dernier. Une grosse vingtaine d’eurodéputés perdus dans les travées, en plein milieu d’après-midi, sur les quelque 80 qui auraient pu siéger. La commission parlementaire sur le Commerce international tenait ce jour-là à Bruxelles une de ses réunions bi-mensuelles, et l’ordre du jour en était arrivé à un de ces intitulés qui font tout le sex-appeal du travail législatif européen : « préférences commerciales autonomes pour la République de Moldavie ». Au vrai, il s’agissait de savoir si l’Europe allait ouvrir plus grand ses frontières aux pommes, raisins et prunes moldaves. Ils n’étaient pas très nombreux, et c’est alors Marine Le Pen qui prit la parole. Elle qui disait encore il y a quelques mois que ce Parlement « faisait pitié », elle était là pour défendre consciencieusement ses amendements. De quoi étonner plus d’un habitué.

« Lors de la précédente législature, je n’ai pas vu une seule fois Marine Le Pen en commission parlementaire pendant 5 ans. Là, depuis le début de cette mandature cet été, nous avons dû avoir une dizaine de réunions, et elle a dû venir 7 demi-journées. Il y a un changement de stratégie évident », explique Yannick Jadot (Verts), très assidu vice-président de la commission parlementaire sur le Commerce international.

Un statut d’élu fantôme

Il faut se rendre à l’évidence : le Front national n’est plus aux abonnés absents au Parlement européen. Lors des législatures précédentes, les élus du parti d’extrême droite prenaient le TGV-Est, mais pas le Thalys ; on les voyait parfois à Strasbourg lors des sessions plénières de l’hémicycle – trop d’absentéisme lors de ces sessions, et vous perdez votre indemnité parlementaire – mais ils désertaient les semaines à Bruxelles où se fait réellement le travail parlementaire à travers les commissions législatives. Un statut d’élu fantôme, hurlant beaucoup mais n’agissant pas, que ne manquaient pas de stigmatiser les autres partis.

Lors de la campagne pour les élections européennes du printemps dernier, en sillonnant ses terres de Saône-et-Loire, il est arrivé plus d’une fois à Arnaud Danjean, eurodéputé UMP, de rencontrer des agriculteurs tentés par le vote FN. « Vous savez combien de fois ils ont siégé en Commission parlementaire agriculture ? Pas une fois. » Généralement, l’argument portait. « C’est clair que je ne pourrai pas le réutiliser lors des prochaines élections, ils ne sont plus suspects de ce reproche d’absentéisme », note l’élu.

S’investir dans le travail législatif

Le Front national entend utiliser sa présence massive au Parlement européen – 23 élus, soit la plus importante délégation française ! – comme une vitrine. Une preuve supplémentaire de la normalisation d’un parti en quête de respectabilité. «Nous voulons démontrer que nous avons une capacité d’opposition constructive», explique Ludovic de Danne, à la fois assistant parlementaire et conseiller Europe de Marine Le Pen. « On nous attend sur la sécurité ou l’immigration, mais nous démontrons au Parlement européen que nous pouvons parler d’agriculture, d’environnement, de transport et de bien d’autres sujets », assure Edouard Ferrand, désormais chef de la délégation FN.

Consigne a donc été donnée à tous les eurodéputés de s’investir dans le travail législatif, au moins en apparence. Certes, Florian Philippot continue de sécher allègrement le travail en commission parlementaire. Ce serait « une façon de dédier son mandat à une critique virulente de l’Europe », selon l’affirmation très sérieuse d’Edouard Ferrand. Mais la plupart des autres font mine de jouer le jeu. « J’ai pas le temps de vous parler, je dois préparer le dépôt d’amendements sur les minerais en Afrique. Marine m’a demandé de bosser, c’est ce que je fais », assène Jean-Luc Schaffhauser, avant de raccrocher au nez.

 

Ils sont plusieurs sur cette ligne, plongeant au besoin dans les méandres du droit européen, comme Gilles Lebreton invoquant il y a quelques semaines « l’article 50 du Traité de l’Union européenne »pour dénoncer « le projet de société unipersonnelle européenne »(toujours le sex-appeal législatif de l’UE). Dominique Martin, élu du Sud, s’enorgueillit d’avoir vu certains de ses amendements votés par les autres partis, pour un rapport sur l’activité de la BEI (Banque européenne d’investissement). Il en dépose beaucoup, certains n’étant parfois d’un copier-coller de textes déposés par d’autres parlementaires, avec un mot remplacé par un synonyme. Certains élus écologistes sont parfois décontenancés face à des propositions qu’ils auraient pu écrire eux-mêmes. « Je tiens le compte de tous mes amendements, ceux déposés et ceux acceptés, comme ça on ne pourra pas me faire de critiques infondées », explique-t-il.

Gonfler les statistiques

 

De fait, cette activité législative soutenue n’est pas complètement innocente. Les élus FN ont bien intégré les spécificités du Parlement européen, et notamment l’existence de certains sites ( mepranking.eu et Votewatch.com ), vigies de l’activité parlementaire. Louables pour leur apport en matière de transparence, ces plateformes internet ont de grands effets pervers : désormais bien des eurodéputés - à droite comme à gauche - multiplient les amendements, les questions à la Commission européenne, les explications de vote… uniquement pour gonfler leurs statistiques. Statistiques servant in fine à établir un classement des parlementaires qui, en réalité, ne veut pas toujours dire grand-chose. Dans son bureau bruxellois où trône une petite statue de Jeanne d’Arc, Edouard Ferrand mentionne à quatre ou cinq reprises « MEPRanking.eu » dans la conversation. « A la fin des 5 ans, il faut qu’on ait une belle présentation du travail de nos eurodéputés, que ceux-ci soient bien notés. C’est ce que m’a demandé Marine. Là, pour le moment, il n’y en a pas un en dessous de la 400è place, c’est très fort », s’enthousiasme l’élu bourguignon.

Ces statistiques ne disent pourtant pas grand-chose de l’influence du FN au Parlement européen, toujours aussi faible. « Ce n’est pas parce que vous êtes plus assidus que vous comptez vraiment », relève Karima Delli (Verts). Les amendements frontistes ? L’écrasante majorité est rejetée. Et même quand ils sont approuvés à l’occasion par d’autres bords politiques, les élus d’extrême droite votent de toute façon la plupart du temps contre le texte législatif concerné, fidèles à leur ancienne logique d’obstruction et de rejet de l’Union européenne.

Se faire entendre

A leur décharge, ils n’ont pour le moment pas pu constituer de groupe parlementaire européen – il faut 25 députés de 7 pays différents – ce qui les prive de nombreux leviers pour exister (moyens financiers, temps de paroles supérieurs, possibilités de rédiger des rapports parlementaires etc.). « Les choses changeront quand on réussira à faire notre groupe », assure un assistant parlementaire. Mais en attendant, le cœur du travail parlementaire se fait donc sans eux. Il est d’ailleurs significatif qu’il n’y ait aucun contact entre ces élus frontistes et la Représentation permanente française à Bruxelles (la « RP », dans la novlangue européenne), qui prend pourtant soin d’ordinaire de tisser des relations serrées avec les parlementaires nationaux pour défendre les intérêts hexagonaux. « Des contacts avec la RP ? Mais de quelles relations publiques vous me parlez ? », demande benoîtement Bernard Monot, l’eurodéputé FN spécialiste des questions économiques.

Celui qui se présente comme étant à la ville « directeur des investissements à la CDC » - il est en réalité ingénieur financier dans une petite filiale de la Caisse, CDC Placement – ne prend pas vraiment ombrage de cet isolement. Les frontistes n’ont de toute façon pas vraiment l’ambition de changer l’Europe. « On est là pour limiter la casse et surtout faire prendre conscience aux tenants du système du principe de réalité », décrypte-t-il. En clair, ce qu’ils veulent, c’est se faire entendre. Se servir du Parlement européen comme d’une tribune pour leurs idées, à l’image de la motion de censure lancée en novembre contre Jean-Claude Juncker, nettement rejetée mais très largement médiatisée. Lui se lance rapidement devant son interlocuteur dans des diatribes contre l’Union bancaire, parsème ses phrases « d’euthanasie des déposants » et autre « chypriotisation des comptes », état de fait qu’il ne s’est pas privé de rappeler à « la présidente du comité de l’Union bancaire, c’est bête je ne me souviens plus son nom » – à priori Danièle Nouy, la présidente du Conseil de surveillance au sein de la BCE –lors de son passage à Bruxelles.

Un soutien généreux

« Leurs discours en séance sont avant tout des discours slogans, où ils mettent l’Europe en accusation avec des arguments pas toujours très appropriés techniquement mais qui porteront chez leurs militants en France », décrypte un diplomate européen qui connaît bien le Parlement. La chaîne « Youtube » du parti est d’ailleurs abondamment fournie en vidéos tournées au Parlement européen. Ecouter les élus européens frontistes, c’est donc avoir un bon aperçu des thématiques en vogue au parti d’extrême droite, entre les grandes tirades prorusses d’Aymeric Chauprade, à la gloire du Kremlin et des « combattants de la liberté du Donbass » en Ukraine, et une rhétorique économique désormais très à gauche. Une fois, après un discours contre la « pensée unique », Philippe Lamberts, l’eurodéputé belge chef de la délégation des Verts européens, a ainsi eu la surprise de voir débarquer devant lui Bernard Morot. « C’est bien ce que vous avez dit, je suis derrière vous. » Le parlementaire FN assume : « Mélenchon, je suis d’accord avec ses constats, pas avec ses solutions. »

Le Parlement européen n’est pas toutefois seulement une vitrine pour le Front national. Il est aussi un soutien généreux à la professionnalisation du parti. Car avoir 23 élus est d’autant plus précieux que cela vous permet de salarier une soixantaine de personnes en tant qu’assistants parlementaires, sur l’enveloppe de 21.000 euros attribuée à chaque député. « C’est autant de gens bien payés pour faire de la politique et de la technique, ça leur donne une force de frappe professionnelle qu’il ne faut pas sous-estimer », décrypte Arnaud Danjean (UMP).

Bien sûr, dans le lot, tous ne sont pas à créditer du même profil. La manne parlementaire continue de payer certains proches des Le Pen père et fille, comme lors des précédentes législatures : à titre d’exemple, Florence Lagarde, amie de fac de Marine Le Pen et présidente du micro parti « Jeanne » lié au FN, est ainsi assistante accréditée (à Bruxelles et Strasbourg) de Joëlle Melin, tandis que Gérald Gérin est celui de Marie-Christine Arnautu. A Bruxelles, le bureau de ce dernier est pourtant accolé à celui de Jean-Marie Le Pen, ce qui ne surprendra pas : il y a quelques années dans « L’Express », Gérald Gérin expliquait que son travail consistait à « libérer [le président d’honneur du FN] des tâches usuelles mais non ménagères », avec notamment comme mission de surveiller sa ligne…

Un FN new-look plus présentable

Mais la liste ne s’arrête pas à cette catégorie. Parmi tous les assistants locaux (en circonscription), on retrouve aussi une dizaine de ces jeunes pousses frontistes, vingt ans à peine et incarnant un FN new-look plus présentable, qui ont déjà pour certains d’entre eux menés des combats électoraux. C’est le cas d’Etienne Bousquet-Cassagne, qui avait fait parler de lui il y a deux ans lors de la législative partielle dans la circonscription de Jérôme Cahuzac, ou de Jordan Grosse-Cruciani, candidat aux municipales de Thaon-les-Vosges. D’autres nouveaux venus, comme Antoine Mellies – chargé au FN de draguer les jeunes actifs et les entrepreneurs, et par ailleurs assistant accrédité de Steeve Briois – arpentent eux les couloirs du Parlement à Bruxelles. «Cela leur permet d’entrer en contact avec des filières socio-professionnelles qui n’allaient pas forcément les voir auparavant », observe Arnaud Danjean. Surtout, sur la soixantaine d’assistants, une bonne quinzaine sont membres des instances nationales du FN (bureau politique, comité central, délégation générale etc.), avec notamment des conseillers de Marine Le Pen, comme par exemple Bruno Bilde ou Philippe Murer, ancien proche de Jacques Sapir devenu son expert économique. « A défaut d’en faire un acteur du droit européen, le Parlement européen va contribuer à le transformer en machine de guerre électorale puissante », constate Yannick Jadot (Verts).


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15:10 Écrit par La Vaire | Lien permanent | Commentaires (0)

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