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27/05/2015
Europe
Au Parlement européen, l’extrême droite est en mal d’influence
Un an après les élections européennes qui avaient vu sa percée, l’extrême droite ne s’est pas unie dans un groupe politique.
Elle n’exerce pas l’influence censée lui permettre de démanteler de l’intérieur cette Europe qu’elle accuse de tous les maux.
S’ils ne pèsent pas sur le travail législatif, le Front national et ses alliés jouent toutefois un rôle dans la configuration des majorités.
Édouard Ferrand appartient à la catégorie peu nombreuse des eurodéputés qui personnalisent leur bureau de Strasbourg. Assis à sa table de travail, le chef de la délégation du Front national (FN) au Parlement européen fait face à une statuette de Jeanne d’Arc. Sur un mur à sa gauche, un drapeau du duché de Bourgogne évoque sa région natale. Un décor auquel doit faire écho, vingt minutes plus tard, l’intervention de Marine Le Pen dans l’hémicycle.
Nous sommes le 20 mai. Les eurodéputés, réunis à Strasbourg pour la session plénière mensuelle (le reste des activités se déroule à Bruxelles), réagissent au plan du commissaire chargé de l’immigration, qui propose d’instaurer une clé de répartition des demandeurs d’asile dans les pays de l’Union européenne (UE). « Une nouvelle atteinte à la souveraineté de notre pays », s’indigne la présidente du FN devant ses pairs.
Au même moment, Édouard Ferrand déroule sa stratégie sur le sujet dans le brouhaha d’un couloir. « Nous allons faire une motion de censure pour condamner l’initiative des quotas », prévient-il. Devant récolter des signatures afin que le texte soit soumis au vote, l’ex-conseiller municipal de Sens compte sur les engagements des alliés du FN à Strasbourg : le Parti de la liberté autrichien (FPÖ), son homonyme néerlandais (PVV) ou les Flamands du Vlaams Belang.
Batailler pour nouer des alliances
L’élu doute de convaincre les Italiens de la Ligue du Nord, en général de solides partenaires. « Ils sont pour le principe des quotas. C’est compréhensible, ils ont tellement de demandeurs d’asile chez eux », explique-t-il. Dans tous les cas, il lui faudra batailler hors de son premier cercle, qui réunit au mieux 36 élus, pour nouer des alliances lui permettant d’atteindre le seuil requis de 76. Peut-être en vain.
Un an après les élections européennes, la prédiction ne s’est pas réalisée : malgré sa nette progression, l’extrême droite n’exerce pas l’influence censée lui permettre de démanteler de l’intérieur cette Europe qu’elle accable de tous les maux. Le 25 mai 2014, celle-ci avait vu ses rangs gonfler grâce aux performances du FN, du FPÖ autrichien, ou du parti grec Aube dorée.
Débarrassés de longue date de l’étiquette « extrême droite », d’autres partis venaient aussi renforcer la droite populiste et eurosceptique ou europhobe dans l’assemblée : le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip) ou le Parti du peuple danois.
Assiduité et présence massive
Leurs élus font souvent preuve d’une assiduité dans les commissions parlementaires et en séance plénière (où l’absence entraîne une amputation du salaire), qui prive leurs détracteurs de l’habituel argument d’amateurisme. « Il travaille et intervient toujours à bon escient », dit un membre de la commission des affaires juridiques au sujet d’un élu du FN de la même instance.
Avec 23 élus, le parti de Marine Le Pen peut figurer dans les 22 commissions parlementaires. Sa présence massive lui permet aussi d’étendre le champ de ses interventions, de la chasse à la baleine à l’Exposition universelle à Milan, et, ainsi, de se normaliser.
Mais la portée d’un tel travail est limitée. « Le FN a installé une chambre d’écho au Parlement et laboure les procédures pour exister, mais il n’a aucune influence », résume le Français Jean-Marie Cavada, de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.
L’échec de la création d’un groupe politique
Le FN et ses alliés autrichiens, italiens, belges et néerlandais n’ont pas rempli les critères requis – 25 élus d’au moins 7 nationalités – pour former un groupe politique, garant de ressources et de légitimité.
Par souci d’image, des camarades potentiels – les démocrates suédois par exemple – ont préféré se rapprocher des indépendantistes britanniques. D’autres, comme le parti néonazi Aube dorée, ont été considérés comme infréquentables. Plus de 40 élus d’extrême droite siègent ainsi dans la catégorie hétérogène des « non-inscrits ».
« L’extrême droite conduit au raidissement du discours »
Ne pouvant peser sur les textes, ces derniers exercent néanmoins une influence. Voulant éviter d’offrir aux populistes de droite et à l’extrême droite un rôle d’arbitre que, grâce à leur nombre, ces derniers pourraient jouer plus que les autres, les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) et les Socialistes et démocrates (SD, ex-PSE) optent le plus souvent pour une alliance. « Cela accrédite l’expression de Marine Le Pen sur l’“UMPS”, regrette l’eurodéputé belge Philippe Lamberts, des Verts. Forçant l’union sacrée, qui est une union de dupes pour les socialistes, l’extrême droite conduit au raidissement du discours et affaiblit le débat. »
Ainsi l’extrême droite occupe-t-elle le champ de sujets nouveaux pour elle. À plusieurs reprises, des élus du FN sont venus dire leur approbation à Philippe Lamberts, grand avocat de la transparence financière, qui raconte : « Encore ce matin, dans l’ascenseur, l’un d’eux m’a dit, “Je suis complètement d’accord avec toi sur la séparation des métiers bancaires.” »
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Une droite populiste éclatée
Avec 23 sièges (contre 3 entre 2009 et 2014), le FN est le premier parti français au Parlement européen (750 élus). D’autres formations d’extrême droite ont progressé en 2014, comme le FPÖ autrichien, passé de 2 à 4 élus.
La palette de la droite populiste et eurosceptique ou europhobe est large, allant de l’élu néonazi allemand à Alternative für Deutschland. Cet ensemble hétérogène compte deux groupes politiques : l’Europe de la liberté et de la démocratie directe (46 élus), autour de l’Ukip, et les Conservateurs et réformistes européens (73 élus), autour des conservateurs britanniques.
Ayant réuni une alliance informelle de 31 eurodéputés originaires de cinq pays, le FN n’appartient pas à un groupe politique. Une telle structure permet de bénéficier de temps de parole, de déposer des amendements ou de percevoir des ressources supplémentaires.
En mars, une enquête a été ouverte au Parlement européen et à Paris au sujet de l’emploi de vingt assistants d’eurodéputés du FN soupçonnés de travailler pour le parti.
MARIANNE MEUNIER (à Strasbourg)09:40 Écrit par La Vaire | Lien permanent | Commentaires (0)
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