Journaliste, écrivain et conférencier, Franck Ferrand consacre sa vie à l'Histoire. Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le dictionnaire amoureux de Versailles (Plon, 2013). Ce surdoué anime Au coeur de l'Histoire chaque jour sur Europe 1 et L'Ombre d'un doute chaque mois sur France 3 en première partie de soirée.
L'ouvrage collectif que je viens de préfacer, aux éditions Pygmalion, sous la direction de Danielle Porte, est de ceux qu'on a longtemps attendus, et qu'on déguste ligne à ligne, empli de gratitude envers les auteurs. Enfin, voici répertoriés tous les travers, tous les défauts, toutes les tares de l'Alésia officielle, sise en Bourgogne, en Côte-d'Or, sur la commune d'Alise-Sainte-Reine.
« Depuis un siècle et demi, de nombreux savants, dont certains de grand poids, se sont manifestés pour dénoncer au mieux une erreur, au pire une supercherie. »
Depuis un siècle et demi - depuis que Napoléon III, par la grâce d'un décret impérial, a décidé que l'on situerait la victoire de Rome sur les Gaules en Bourgogne, dans le pays des anciens Eduens - de nombreux savants, dont certains de grand poids, se sont manifestés pour dénoncer au mieux une erreur, au pire une supercherie. Leurs arguments sont de trois ordres:
- d'abord, ils font remarquer que le site bourguignon du Mont Auxois ne correspond en rien - en rien! - à la description détaillée qu'en donna Jules César, au Livre VII de sa Guerre des Gaules ;
- ensuite, ils soulignent les incohérences et les invraisemblances de ce site, trop petit, trop bas, trop ouvert, trop mal doté en eaux vives notamment ;
- enfin, ils rappellent que la conformation des lieux ne permet ni de situer, ni de comprendre les différentes étapes de l'affrontement censé s'y être livré, en 52 avant JC.
Qu'importe aux pontes de l'archéologie nationale ; il y a longtemps qu'ils ont fait fi de toutes ces critiques.
Depuis cinquante ans - depuis qu'un certain André Berthier a découvert, en plein Jura, dans le pays des anciens Séquanes, un site qui, lui, correspond en détail, trait pour trait, à la description fournie par César - les critiques à l'encontre du site bourguignon se sont faites plus pressantes.
« Le mépris et la morgue des prétendus détenteurs du savoir n'ont fait que croître en proportion.»
Qu'à cela ne tienne: le mépris et la morgue des prétendus détenteurs du savoir n'ont fait que croître en proportion.
De sorte qu'à force de négliger les textes et de les modifier, de distordre les réalités du terrain et d'interpréter abusivement les résultats de fouilles orientées, on en est venu à présenter comme une vérité établie ce qui, pour un esprit exigeant, apparaît comme impossible: la mythique Alésia se situerait en Bourgogne. Et que cesse la polémique!
Seulement voilà: hélas pour les ennemis de la logique, certains chercheurs sont têtus. C'est le cas de la petite équipe de militaires, d'ingénieurs, d'hydrauliciens, de numismates réunis par Danielle Porte, l'une des meilleures latinistes de la Sorbonne. Avec ordre et méthode, minutieusement - mais non sans humour - ces amoureux des faits posent aujourd'hui plusieurs dizaines de questions dérangeantes aux partisans du «grand site national» d'Alise-Sainte-Reine ; ils prouvent au passage qu'il convient désormais d'aller chercher ailleurs les vestiges du siège et les traces de la bataille.
Tant pis pour le complexe touristique du MuséParc Alésia, bâti depuis quelques années au mauvais endroit, à grand renfort de fonds publics! Tant pis pour les innombrables ouvrages écrits sur de fausses bases, et pour les datations hasardeuses que cette errance aura suscitées!
L'essentiel, me semble-t-il, est que la vérité historique puisse enfin se faire jour.
«Alésia est un des épisodes fondateurs de l'histoire occidentale.»
PS: A ceux qui se demanderaient quelle importance peut avoir la localisation d'un événement vieux de plus de 2000 ans, je répondrai ceci: Alésia est un des épisodes fondateurs de l'histoire occidentale ; le resituer au bon endroit permettrait non seulement de mieux comprendre un événement jusqu'ici bien confus, mais de restituer leur importance à des ruines protohistoriques - celles de l'Alésia des Mandubiens - parmi les plus riches d'Europe. Actuellement, ces vestiges cyclopéens, perdus dans le Jura, sont désignés sur la Carte archéologique comme autant de «tas d'épierrement» et de «limites de parcelles agricoles» (sic)!
Le Figaro